• Vouloir vivre
    S'il arrive au peuple, un jour, de vouloir vivre,
    Il faudra bien que le destin réponde,
    Il faudra bien que s'ouvre la nuit,
    Il faudra que cèdent les chaînes.
    Celui que le désir de vivre n'a pas étreint à bras le corps,
    S'évapore et disparaît au grand ciel de la vie.

    Ainsi m'ont dit les êtres, tous les êtres.
    Ainsi m'a parlé leur esprit caché.
    Au sommet des montagnes, au plus secret des arbres,
    Dans la mer déchaînée, écoute murmurer
    Le vent: "Que je me tourne vers un lieu du monde,
    Et je m'habille d'espoir, et me dépouille de prudence.
    Je ne crains la rigueur des sentiers,
    Ni le feu le plus altier.
    Refuser la montagne haute,
    N'est-ce point vivre, à jamais, au fossé?"
    Aboulkâssem al-Châbbî




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  • AGIR, JE VIENS
     
    Poussant la porte en toi, je suis entré
    Agir, je viens
    Je suis là
    Je te soutiens
    Tu n'es plus à l'abandon
    Tu n'es plus en difficulté
    Ficelles déliées, tes difficultés tombent
    Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est plus
    Je t'épaule
    Tu poses avec moi
    Le pied sur le premier degré de l'escalier sans fin
    Qui te porte
    Qui te monte
    Qui t'accomplit





    Je t'apaise
    Je fais des nappes de paix en toi
    Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
    Afflux
    Afflux en palmes sur le cercle des images de l'apeurée
    Afflux sur les neiges de sa pâleur
    Afflux sur son âtre... et le feu s'y ranime
     
    AGIR, JE VIENS
    Tes pensées d'élan sont soutenues
    Tes pensées d'échec sont affaiblies
    J'ai ma force dans ton corps, insinuée
    ...et ton visage, perdant ses rides, est rafraîchi
    La maladie ne trouve plus son trajet en toi
    La fièvre t'abandonne





    La paix des voûtes
    La paix des prairies refleurissantes
    La paix rentre en toi





    Au nom du nombre le plus élevé, je t'aide
    Comme une fumerolle
    S'envole tout le pesant de dessus tes épaules accablées
    Les têtes méchantes d'autour de toi
    Observatrices vipérines des misères des faibles
    Ne te voient plus
    Ne sont plus





    Équipage de renfort
    En mystère et en ligne profonde
    Comme un sillage sous-marin
    Comme un chant grave
    Je viens
    Ce chant te prend
    Ce chant te soulève
    Ce chant est animé de beaucoup de ruisseaux
    Ce chant est nourri par un Niagara calmé
    Ce chant est tout entier pour toi
     
    Plus de tenailles
    Plus d'ombres noires
    Plus de craintes
    Il n'y en a plus trace
    Il n'y a plus à en avoir
    Où était peine, est ouate
    Où était éparpillement, est soudure
    Où était infection, est sang nouveau
    Où étaient les verrous est l'océan ouvert
    L'océan porteur et la plénitude de toi
    Intacte, comme un œuf d'ivoire.





    J'ai lavé le visage de ton avenir.
     





    Henri Michaux


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  • LE PSAUME DE LA VIE



    Imité de Longfellow
     
    Oh ! Ne me dites plus que la vie est un rêve,
    Une ombre qui s'enfuit et flotte sous nos pas,
    C'est le temps de la lutte, et si rien ne s'achève,
    L'éternel avenir a son germe ici-bas.



    La vie est un combat, la vie est une arène
    Où le devoir grandit du triomphe obtenu ;
    C'est le sentier qui monte et pas à pas nous mène
    Aux sommets d'où la vue embrasse l'inconnu.
     
    Âme ! Souffle divin, captive frémissante,
    Toi dont l'aile meurtrie usera sa prison,
    Celui qui t'a créée immortelle et vivante
    Te fit libre et t'ouvrit un immense horizon.



    Pour l'homme, né de Dieu, rayon de sa pensée,
    Le repos, c'est l'oubli, le sommeil, c'est la mort.
    Souviens-toi, fils du ciel, qu'immobile et glacée,
    La tombe est un passage ; elle n'est pas un port.



    Marche ! et que chaque jour te trouve à son aurore
    Plus près du but sacré, le flambeau dans la main
    Agis ! le temps est court ; il se hâte et dévore
    Ce qui n'est pas réel, immortel et divin.



    Que jamais le regret, la crainte ou l'espérance,
    La joie ou la douleur ne retardent tes pas.
    N'entends-tu pas ton cœur qui bat dans le silence ?
    Marche ! il n'est rien pour lui d'assez grand ici-bas.



    Que ton pied sur le sol laisse une noble empreinte,
    Et peut-être, suivant tes sentiers après toi,
    Quelque esprit agité par le doute et la crainte
    Retrouvera l'espoir, le courage et la foi.



    Laisse au vague avenir ses lointaines promesses,
    Au stérile passé son sourire d'adieu ;
    Bannis les rêves d'or et les molles tristesses.
    Le présent est à toi, mais le reste est à Dieu.



    A Dieu, ce passé mort qu'Il répare et pardonne ;
    A Dieu, cet avenir que lui seul a scruté ;
    A nous, l'heure qui fuit aussitôt qu'elle sonne,
    Mais qui contient l'éternité.



    Décembre 1855.



    Madame Edmonde de Pressensé (1826-1901), épouse de Francis de Pressensé sénateur inamovible (1853-1914).


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  • L'Infortuné



    Ne convient pas que vous raconte
    Comment je me suis mis à honte
    En quel manière


    Vous qui rime me demandez
    Comment je me suis amendé
    De prendre femme


    Trop tard je m'en suis aperçu
    Quand je suis dans le piège chu
    C'est mon dommage


    Qui jamais n'eut moins d'avoir
    Mon hôte veut l'argent avoir
     De mon hosté


    J'en ai presque tout ôté
    Avoir me sont nus les côtés
     Contre l'hiver


    Le mal ne saurait seul venir
    Tout ce qui me devait venir
     M'est advenu


    Que sont mes amis devenus
    Eux que j'avais de si près tenu
     Et tant aimés


    Ils ont été trop clairsemés
    Je crois le vent les a ôtés
     L'amour est morte


    Ce sont amis que vent emporte
    Et il ventait devant ma porte
     Les emporta


    Si le ciel point n'a de colère
    Je crois que Dieu le débonnaire
     M'aime de loin


    Bien l'ai prouvé en ce besoin
    Suis où le maillet met le coing
     Dieu l'y a mis


    Même le sot de sot me clame
    Or pour filer s'il me faut trame
     Moult ai à faire


    Je ne suis pas ouvrier des mains
    L'espérance de l'endemain
     Ce sont mes fêtes


    Si je m'émeus je n'en puis mais
    Ne voit venir avril ni mai
     Voici la glace


    Contre le temps l'arbre s'effeuille
    Qui ne maintient en branche feuille
     Tombée à terre


    Et la pauvreté qui m'atterre
    De tout côté me fait la guerre
    En cet hiver


    Pauvre sens et pauvre mémoire
    M'a Dieu donné le roi de gloire
     Et pauvre rente


    Et droit au cul quand bise vente
    Le vent me vient, le vent m'évente
     C'est trop souvent


    Qu'en bonne santé Dieu me garde
    Qui nous ôte peines et charges
    Et sauve l'âme


    Me revoilà sur le chantier
    Et j'en ai le corps fatigué
     Jusqu'à gémir


    Nul oncques me conforta
    Ni du sien rien ne m'apporta
     Ici j'apprends


    Qui a un rien pour lui le garde
    Et qui trop a se met en garde
     D'avoir trop mis


    De son avoir pour faire amis
    Et n'en trouve un ni la demi
     Qui le secoure


    Laisserai fortune à son cours
    À moi seul ferai recours
     Si je le puis



    D'après Rutebeuf, Léo & LeNomdelaRose



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  • Hay un momento
    en que uno se libera de su biografía
    y abandona entonces esa sombra agobiante,
    esa simulación que es el pasado.

    Ya no hay que servir más
    la angosta fórmula de uno mismo,
    ni seguir ensayando sus conquistas,
    ni plañir en las bifurcaciones.

    Abandonar la propia biografía
    y no reconocer los propios datos,
    es aliviar la carga el viaje.

    Y es como colgar en la pared un marco vacío
    para que ningún paisaje se agote al fijarse.


    Il y a un moment
    où l'on se libère de sa biographie
    et abandonne alors cette ombre déprimante,
    cette simulation qu'est le passé.
     
    Il ne faut plus utiliser
    la formule mesquine du même,
    ni tenter de poursuivre ses conquêtes,
    ni gémir aux bifurcations.

    Abandonner sa biographie
    et ne pas reconnaître ses propres données,
    c'est alléger la charge pour le voyage.

    Ou comme accrocher au mur un cadre vide
    pour qu'à s'y figer ne s'épuise aucun paysage.



    Roberto Juarroz. Argentina
    Duodécima poesía vertical.


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